Ce matin son réveil avait sonné plus
tôt que d’habitude et il était déjà debout
sous la varangue. Les palmiers s’agitaient doucement sous la brise légère
des alizés. Il avait couru jusqu’au port, la foule
joyeuse se pressait nombreuse et volubile. Le bateau ne tarderait pas.
Panama, complet clair et lunettes de soleil il avait fière
allure et le savait. Il ne tenait pas en place, cherchait des yeux des
personnes de sa connaissance, il n’y en avait pas mais il souriait,
virevoltait, avait envie de danser. On lui rendait ses sourires et dans cette
foule bigarrée, colorée, les rires fusaient. Son énorme
bouquet de balisiers pourpres à la main suscitait quelques
commentaires amusés. A sa voisine, il montrait des
photos tout en commentant :
— Oui ma chère, cette jolie femme que j’attends
elle ne connait pas notre île, mais elle en rêve
déjà. J’ai tout préparé,
j’ai envoyé des photos, nous avons causé sur
internet, vous connaissez skype, n’est ce pas ?
— Oui bien sûr répliqua la belle créole,
mais vous vous êtes déjà rencontrés
n’est ce pas ?
— Non , mais nous allons nous marier, ajouta-t-il bombant le
torse, je suis certain qu‘elle voudra rester ici. Vous
connaissez quelqu’un qui refuserait la vie au soleil ?
La jolie chabine sourit gentiment mais dans ses yeux verts il
cru percevoir une lueur d’inquiétude.
Et si Sylvia n’était pas dans ce bateau ? S’il
n’avait pas exagéré ses
descriptions exotiques, le paradis au sable doré, la mer turquoise…
C’est vrai il y avait aussi les ouragans, le chômage
endémique et toutes ces cases plus ou moins délabrées
depuis le dernier coup d’État. Il se retourna, scrutant la
foule compacte qui soudain lui parut plus hostile. Certains parlaient déjà du
paquebot retardé, des rumeurs circulaient. Il recula,
il voulait savoir, il se faufila, chercha le responsable du port. A l’horizon
les nuages s’amoncelaient, mauvais présages ! Ses lèvres,
ses mains tremblaient. Quel fou il était,
toujours à foncer tête baissée, à prendre
ses désirs pour des réalités.
Mais c’est vrai, il était optimiste de
nature et cela lui avait plutôt bien réussi jusqu’à présent
alors…
Il se secoua, redressa les épaules et fendit la
foule à nouveau de son pas élastique.
Ce soir serait une fête, il le voulait, il le savait.
Sylvia se jetterait dans ses bras , il lui offrirait ses superbes fleurs, ils
iraient dîner au Paille Coco sur la plage. Devant le rocher du Diamant
les voiliers se balanceraient langoureusement, l’orchestre jouerait
cet air irrésistiblement voluptueux et les étoiles
scintilleraient dans les yeux de Sylvia.
Mais ce navire qui n’arrivait pas ? pourquoi? La multitude
autour de lui semblait s’exaspérer, les rires
avaient cessé, les voix se faisaient plus sourdes, les regards plus
fuyants, que se passait-il ? Personne ne savait, de petits groupes se formaient,
il alla de l’un à l’autre tentant d’intercepter
des conversations, personne ne lui prêta attention, chacun replié sur
son angoisse. Son bouquet maintenant l’embarrassait,
son panama n’avait plus l’air aussi conquérant.
Non, il n’allait pas flancher, se laisser aller à la
morosité ambiante; rien n’était encore joué, il ne s’agissait
que d’un contretemps. Soudain une sirène retentit, une
longue forme blanche se dessina à l’horizon, un panache
de fumée s’éleva à la
rencontre des nuages.
Son cœur cogna dans sa poitrine qui allait éclater. Le paquebot
s’approcha, glissa vers le quai devenu survolté.
On devinait déjà des silhouettes sur le pont soleil, il
chercha Sylvia des yeux, tant de monde, tant de couleurs. Il se hissa sur la
pointe des pieds, brandit son bouquet éclatant, cria, trépigna,
dansa.
Annette
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