Assis à la porte de Notre Dame, Jules
regarde la file des curieux s’allonger pour visiter la crèche à l’intérieur de
la cathédrale.
En ce 25 décembre, on s’empresse de venir
voir le nouveau venu, né dans la nuit. Serrés les uns contre les autres, on
attend patiemment en se tenant chaud. Jules attend lui aussi un regard, un
sourire qui ne viennent pas. Personne ne daigne s’intéresser à lui ; Lui,
l’indésirable, le rejeté ; lui, qui tend la main. Avant d’entrer, on lui
glisse parfois une pièce sans un mot et la honte l’envahit !
Depuis quelques mois, il est devenu
invisible, transparent et arrive lui aussi à oublier l’homme qu’il était avant,
avant cette descente aux enfers. Il sait maintenant que ce qu’il vit là dehors
n’est pas le paradis sur terre. Il voudrait, au moins aujourd’hui retrouver un
peu d’humanité dans les yeux de ceux qui
l’approchent et récupérer sa dignité.
A chaque fois que la porte s’ouvre, il
entend la musique que joue l’organiste. Un bonheur connu le fait sourire. Il se
souvient du temps d’avant, de ces soirées à l’Opéra où, propre, habillé
élégamment, il vibrait à chaque note. Ce n’est pas de froid qu’il frissonnait
alors ! Toujours en bonne compagnie, les femmes ne manquaient pas, jamais
la même de préférence. Jusqu’au jour où il s’était épris de cette belle blonde
qui lui avait chaviré le cœur. Il avait tout quitté pour ses beaux yeux,
s’endettant pour lui offrir : voyages, bijoux, restaurants… jusqu’à se
retrouver sur la paille sans étable pour l’abriter.
Il préfère ne pas s’attarder sur cette
période et se laisser aller à rêver à sa vie d’avant elle, d’avant tout ce
gâchis. Si seulement, il pouvait retourner dans le monde béni de son enfance où
sa mère, nostalgique d’un pays qu’elle avait quitté par amour, lui fredonnait
de sa voix chaude des airs de fado. Il avait eu une vie heureuse de fils unique
aimé, choyé, gâté et destiné à reprendre l’entreprise familiale pas à la faire
couler !
Comment avait-il pu se laisser aller au
point d’en arriver là ? Plus de travail, plus de compagne, plus d’argent,
plus de toit, seul, à la rue. Heureusement que ses parents n’étaient plus là
pour assister à sa déchéance !
Là, près de cette église, en ce lieu
magique, il devait continuer à croire et espérer qu’un miracle lui permettrait
de revenir lui aussi parmi les siens…
Sylvie
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