C’était devenu un rituel ; chaque
jour, Martine et Florence se retrouvaient dans le petit bar en face de l’école
des tilleuls. Elles attendaient ensemble leurs enfants, Alice et Jules, rentrés
au CP dans la même classe. Ces deux là étaient vite devenus inséparables, une
complicité juvénile les liait s’installant autour de défis lancés sur le
mode : « cap ou pas cap ? »
Les mamans amies se recevaient souvent
maintenant et le terrain de jeu des deux petits s’était élargi.
- « cap ou pas de jeter tes
livres ? »
- « cap ou pas de donner tes
consoles ? »
Au lycée, à partir de la première, ils
avaient choisi des voies différentes. Alice avait opté pour une filière
littéraire et Jules se préparait à des études d’ingénieur. Ils continuaient à
s’inviter aux anniversaires et autres moments importants de leur jeunesse. Se
provoquant à chaque rencontre ; celui qui comptait le plus de conquêtes,
celui qui pouvait tout quitter d’un claquement de doigts.
-
« cap ou pas d’aller voir ailleurs ? »
-
« cap ou pas de flirter avec untel ? »
La vie passant, ils avaient obtenu tous
deux les diplômes espérés. Jules était chef de projet dans une grosse
entreprise informatique et Alice écrivait des nouvelles inspirées par ces
voyages. Leurs univers n’avaient plus rien en commun. Lui, en costume
« Armani », habitué des cocktails bobo et elle, « baba
cool »courant les bars intellos.
Il s’était marié et dans le faire-part
qu’il lui avait envoyé, il n’avait pas pu s’empêcher de lui faire un pied de
nez.
-
« cap ou pas de venir déguisée ? »
Ce à quoi elle avait répondu :
-
« cap ou pas de dire non à la mairie ? »
Peut-être, à ce moment là auraient-ils du cesser de jouer…
Mais adultes, ils étaient, enfants, ils restaient !
Pendant toutes ces années, ils s’étaient donné des rendez-vous insolites
dans des lieux improbables, bravant tous les obstacles : famille, travail,
obligations… Ne s’étaient-ils pas juré de rester de grands gosses à la vie à la
mort ? Il fallait continuer à déjouer le sort, faire la nique à la
routine.
Pour cet anniversaire là, ils avaient encore honoré leur pari.
Ils se retrouvaient maintenant, face à face avec la maturité et la
plénitude de leur 30 ans, las et embarrassés soudain par cette folle envie de
se jeter dans les bras de l’autre.
-
« cap ou pas de ne plus jouer ? » aurait
prononcé Alice si elle avait pu abandonner la partie.
Submergé par l’émotion qui le gagnait, Jules ne voulant pas s’avouer
vaincu lança :
-
« cap de tout
arrêter ! »
Sylvie
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