mercredi 22 octobre 2014

Cap ou pas cap ?


C’était devenu un rituel ; chaque jour, Martine et Florence se retrouvaient dans le petit bar en face de l’école des tilleuls. Elles attendaient ensemble leurs enfants, Alice et Jules, rentrés au CP dans la même classe. Ces deux là étaient vite devenus inséparables, une complicité juvénile les liait s’installant autour de défis lancés sur le mode : « cap ou pas cap ? »
Les mamans amies se recevaient souvent maintenant et le terrain de jeu des deux petits s’était élargi.
- « cap ou pas de jeter tes livres ? »
- « cap ou pas de donner tes consoles ? »
Au lycée, à partir de la première, ils avaient choisi des voies différentes. Alice avait opté pour une filière littéraire et Jules se préparait à des études d’ingénieur. Ils continuaient à s’inviter aux anniversaires et autres moments importants de leur jeunesse. Se provoquant à chaque rencontre ; celui qui comptait le plus de conquêtes, celui qui pouvait tout quitter d’un claquement de doigts.
-                « cap ou pas d’aller voir ailleurs ? »
-                «  cap ou pas de flirter avec untel ? »
La vie passant, ils avaient obtenu tous deux les diplômes espérés. Jules était chef de projet dans une grosse entreprise informatique et Alice écrivait des nouvelles inspirées par ces voyages. Leurs univers n’avaient plus rien en commun. Lui, en costume « Armani », habitué des cocktails bobo et elle, « baba cool »courant les bars intellos.
Il s’était marié et dans le faire-part qu’il lui avait envoyé, il n’avait pas pu s’empêcher de lui faire un pied de nez.
-                « cap ou pas de venir déguisée ? »
Ce à quoi elle avait répondu :
-                « cap ou pas de dire non à la mairie ? »

Peut-être, à ce moment là auraient-ils du cesser de jouer…
Mais adultes, ils étaient, enfants, ils restaient !

Pendant toutes ces années, ils s’étaient donné des rendez-vous insolites dans des lieux improbables, bravant tous les obstacles : famille, travail, obligations… Ne s’étaient-ils pas juré de rester de grands gosses à la vie à la mort ? Il fallait continuer à déjouer le sort, faire la nique à la routine.

Pour cet anniversaire là, ils avaient encore honoré leur pari.
Ils se retrouvaient maintenant, face à face avec la maturité et la plénitude de leur 30 ans, las et embarrassés soudain par cette folle envie de se jeter dans les bras de l’autre.
-                « cap ou pas de ne plus jouer ? » aurait prononcé Alice si elle avait pu abandonner la partie.
Submergé par l’émotion qui le gagnait, Jules ne voulant pas s’avouer vaincu lança :
-                 « cap de tout arrêter ! »

Sylvie

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