mercredi 5 février 2014

Texte : Au coeur d'une tempête, un soleil

L’homme, sorti du train, remonte son col par lequel s’enfonce le vent dur et épais. Ses paupières griffées par l’orage sont scellées, il avance à l’aveugle sous la pluie drue et froide. La grêle cinglante, les rafales, le poids de ses mallettes gauchissent son corps… Tant ployé que laborieux, l’homme usé déballe ce soir toute sa vigueur contre la tornade. Des ombres fuient en courant ; un réverbère s’est brusquement couché, il grésille puis s’éteint dans une flaque. L’homme marche contre le souffle hargneux, arrachant ses jambes au sol, douché jusqu’aux os. Il marche contre la colère du ciel, il ne cède pas. Son regard entrouvert, inondé, aperçoit une porte, sa porte. Dans une dernière bourrasque, il grimpe sur le perron pour être enfin, jeté à l’abri.
L’accalmie, dedans, est mélodieuse. Du dernier courant d’air s’entrechoquent joyeusement les personnages en bois accrochés au sapin. Des noisettes sont torréfiées au four, leur fumet vole jusqu’aux narines de l’homme. Dégoulinant des larmes du ciel, il s’avance dans la cuisine, palpitant encore. Moulé dans un tablier trop grand pour lui, son fiston le salue quoique son regard soit absorbé par le caramel qui bulle doucement dans une casserole. Sa femme, riant de son allure, l’embrasse… un léger goût d’orange confite sur les lèvres. Soudain, l’homme se surprend. Une larme explose sur le rebord de ses cils, glisse et se noie sur sa joue imbibée ; il pleure. Dans la tumulte du monde et l’impuissance des misères, il n’y a qu’un foyer pour rebâtir une âme. L’unique goutte saline perle sur sa bouche, il se souvient des quelques mots d’un écrivain… Si tu veux faire de ta vie un maillon d’éternité et rester lucide jusque dans le cœur du délire, aime… aime de toutes tes forces, aime comme si tu ne savais rien faire d’autre, aime à rendre jaloux les princes et les dieux. L’homme n’entend plus rien de la tempête qui, avec cruauté, cravache la ville. Son regard, pourtant d’un noir minéral, est chatoyant lorsqu’il pose son veston trempé sur le dossier d’une chaise. Un sourire l’éclaire… un soleil vient d’éclore dans son torse.

Citation en italique de Yasmina Khadra.

Aïsa

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